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Edito de la lettre du 18 octobre 2021


France, la  présidence communau…baine  !

Le 1er janvier prochain, la France va exercer pour six mois la présidence tournante du Conseil de l’Union européenne. Pour chaque pays, cette situation est un événement puisqu’elle ne se présente que tous les quatorze ans.

Formellement, ce rôle est de première importance car la présidence doit donner une impulsion aux travaux législatifs, tout en maintenant la continuité du programme de l’UE.

Les deux tâches principales consistent à planifier et à présider les sessions du Conseil et les réunions de ses instances préparatoires pour chaque domaine d’activité, hors les Affaires étrangères et la politique de sécurité. Par exemple, c’est le ministre français de l’Environnement qui présidera le Conseil de l’Environnement, tandis que le ministre de l’Agriculture présidera le Conseil de l’Agriculture, etc. L’autre mission est celle de représenter le Conseil dans les relations avec les différentes institutions de l’UE.

Si le rôle du pays présidant cette instance se veut avant tout de médiation, dans l’objectif de parvenir à des consensus entre les États membres, la présidence est également l’occasion de mettre à l’agenda du Conseil certaines de ses priorités politiques pour l’Union européenne.

La feuille de route française devrait s’articuler autour de la mise en œuvre du Green Deal (le Pacte vert), du renforcement de l’État de droit en Europe, de l’indépendance de la justice et de la séparation des pouvoirs. Autre priorité, la régulation du numérique, avec la mise en place d’un modèle européen et la lutte contre la désinformation et la manipulation des réseaux sociaux. Sur le volet international, le président français a également affirmé vouloir renforcer le dialogue avec l’Afrique. Un sommet Union européenne-Union africaine devrait se tenir durant le premier semestre 2022 et ce pour établir de nouvelles coopérations. Par ailleurs, la présidence française du Conseil de l’Union européenne devrait être l’occasion de mettre encore davantage en avant les enjeux écologiques sur le continent.

Mais, si d’autres axes de travail restent encore à préciser d’ici au 1er janvier prochain, on peut penser que l’une des priorités de l’exécutif français sera de faire évoluer les règles budgétaires de l’UE. La crise liée à l’épidémie de Covid-19 a fait s’envoler les chiffres de déficits et de dettes publiques des pays européens, qui doivent, depuis le traité de Maastricht, respectivement être inférieurs à 3 % et 60 % des PIB nationaux. Or, face à l’ampleur de la crise sanitaire, les Européens ont collectivement décidé de mettre en suspens ces règles tant que l’épidémie impacterait lourdement l’économie et les dépenses publiques. La perspective d’un retour à la normale se précisant, un certain nombre de voix se font désormais entendre, pressant les États membres de revenir à une gestion plus rigoureuse. Menée par les pays traditionnellement favorables à l’austérité budgétaire que sont l’Allemagne, l’Autriche ou le Danemark, une coalition d’États « vertueux » pousse ainsi ouvertement en faveur d’un retour aux règles « d’avant », garantissant l’équilibre théorique des finances publiques – une condition sine qua non pour affronter, selon eux, de futures crises. Face à ceux-ci, les États endettés, ou dépensiers, emmenés par la France et l’Italie, forment un bloc de pays du Sud plaidant au contraire pour une refonte des règles budgétaires européennes, estimant qu’un retour précipité à l’austérité contreviendrait à l’indispensable relance de l’économie européenne. La France, qui est le mauvais élève de l’Union, va devoir, lors de sa présidence, jouer les arbitres dans une discussion où elle a beaucoup à perdre. Le débat s’annonce mouvementé.

On peut regretter et même s’indigner que cette occasion de pousser un certain nombre de dossiers importants pour la France soit contrariée par la tenue des élections présidentielles et législatives. Si c’est un hasard, ce n’était pourtant pas une obligation, car la France avait la possibilité de demander un report de cette présidence, comme l’avait fait l’Allemagne précédemment pour cause… d’élections municipales. C’est regrettable à plus d’un titre. D’une part, l’utilisation de cette séquence hyper-médiatique, au bon moment pour le chef de l’État, crée une situation inégalitaire et pose une question de respect démocratique pendant la phase de la campagne électorale qui impose la réserve ; d’autre part, cela soulève un réel problème d’efficacité, car la présidence effective ne durera pas six mois, ne serait-ce que du fait de la nomination d’un nouveau gouvernement et des changements de ministres inéluctables qui interviendront entre avril et juin. Enfin, cela est préjudiciable au bon fonctionnement de l’Europe, en droit d’attendre une plus grande implication de l’un des pays fondateurs  de l’Union.

Pour assurer cette présidence, l’inscription budgétaire dans le PLF 2022 est de 102 millions d’euros, alors qu’environ 50 millions d’euros auraient déjà été dépensés, ce qui porterait le total à au moins 150 millions afin de financer les centaines de séminaires, réunions interministérielles et autres colloques internationaux organisés en marge de l’événement.

Cette somme, qui sera sans doute dépassée pour atteindre près d’un million d’euros par jour, ne peut se justifier que par la démonstration d’une utilité incontestable à la fois pour la France et pour l’Europe. C’est ce qui ne pourra se vérifier que… trop tard !