Fermer

Édito de la lettre du 19 avril 2022

Il est des lignes moins faciles à rédiger que d’autres. D’abord accablé par le résultat de ce premier tour de l’élection présidentielle, j’ai ensuite hésité sur la conduite à tenir. Je veux ici exposer mon choix et les raisons qui m’y ont conduit.

Depuis plusieurs semaines, les probabilités du duel que j’appelais de mes vœux se réduisaient inexorablement, sans laisser pourtant supposer une défaite de cette ampleur pour Valérie Pécresse. Recueillir moins de 5% des suffrages pour une candidate représentant une famille politique héritière du général de Gaulle, au pouvoir durant 45 années depuis le début de la Cinquième République, a quelque chose d’humiliant et de profondément attristant. Sans doute, les socialistes pourront comprendre ce sentiment.

La stratégie, menée avec succès et un indéniable brio par Emmanuel Macron, qui consiste, par le « en même temps », à faire disparaître la gauche républicaine en 2017, puis la droite traditionnelle en 2022, lui est profitable, mais elle est dangereuse. Elle conduira inéluctablement, à court ou moyen terme, à l’arrivée au pouvoir d’un parti aux idées radicales. Il s’agit d’un cynique et sinistre calcul que de prendre en otage l’électorat modéré. Miser sur le front républicain pour s’assurer la victoire et réduire le second tour à une formalité a quelque chose de mortifère pour notre démocratie. Depuis cinq ans, tout a été orchestré pour réitérer le duel de 2017. Sauf que ce calcul devient de plus en plus hypothétique. 55% des voix, lors de ce premier tour, se sont portées sur un candidat des extrêmes. Or on ne peut plus dire que les électeurs de la gauche et de la droite radicales sont antinomiques. Certains sujets les rassemblent et peuvent être le dénominateur commun suffisant pour reporter une part significative des suffrages d’un camp vers l’autre.

Je ne suis ni manichéen ni militant aveugle, et je considère que Marine Le Pen, dont j’abhorre la famille politique davantage qu’elle-même, énonce certaines vérités et possède parfois des réponses aux problèmes de notre pays. Mais son programme, fait pour séduire un électorat populaire, est très coûteux, peu réaliste sur son volet économique et déséquilibré dans son aspect budgétaire.

Le personnage Macron est irritant, et sa façon verticale de gouverner a généré chez ses soutiens actifs, du ministre au militant, une sorte de mépris des idées qui ne sont pas les leurs, ce qui l’a rendu, pour beaucoup, particulièrement détestable. L’intolérance a souvent prospéré dans ce camp de donneurs de leçons. Le bilan du candidat-président, au regard de ses engagements, est peu flatteur. Si je partage globalement ses orientations économiques, je ne peux être en accord avec ses réformes sociétales et sa politique sur les sujets de sécurité et d’immigration. Je déplore son incapacité à fédérer, à rassembler les Français, et son manque de structuration idéologique. Son programme, à l’image de son bilan, est très mince et manifestement d’un tropisme fluctuant. La boussole est réglée sur le résultat électoral davantage que sur des convictions.

Malheureusement, dans notre pays, l’élection présidentielle n’est plus depuis longtemps le lieu d’un débat d’idées, programme contre programme, valeur contre valeur, vision contre vision. Elle est devenue une sorte de concours de beauté où tout est fait pour flatter l’électorat, où les bateleurs priment sur les penseurs. Nous sommes à l’ère du marketing politique. Derrière la façade policée d’Emmanuel Macron, il y a l’argent et la mondialisation ; derrière celle de Marine Le Pen, il y a le repli et la fermeture. Rien de cela ne peut recueillir mon adhésion.

Toutefois, je pense que l’élection de la candidate du Rassemblement national, la venue au pouvoir de ses lieutenants, et aux responsabilités des cadres de ce parti, ne peuvent qu’affaiblir notre pays. Les revirements au gré des sondages sur l’Europe, l’euro, l’économie, l’âge de la retraite ou encore la parité interrogent sur la sincérité et la crédibilité de son programme. Le passé sulfureux de son parti, issu du Front national de Jean-Marie Le Pen et avant lui d’Ordre nouveau, est trop lourd, trop entaché de déclarations nauséabondes et d’actes de violence pour l’imaginer à la tête de notre France. L’élection de Marine Le Pen donnerait une image déplorable de notre pays et le mettrait dans une situation internationale fragile. Or aujourd’hui il existe une grande incertitude sur le résultat du deuxième tour.

Le vote blanc est une porte entrouverte. Je ne saurais être complice de l’avènement de la droite extrême à la tête de la République. Aussi, afin de faire barrage à cette perspective, mais pour autant sans adhésion au projet d’Emmanuel Macron, je mettrai dans l’urne, avec amertume, le bulletin de celui-ci.