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Edito de la lettre du 1er décembre 2020

Madame le Maire, Monsieur le Maire,
Mesdames et messieurs les élus,
Mesdames et messieurs,

 

Pas de chance pour le gouvernement ! Il n’a fallu qu’une petite semaine pour que tout s’emballe.

À l’initiative de quelques députés dont Christophe Castaner, et cosignée par de nombreux parlementaires LREM, la proposition de loi relative à la sécurité globale a été inscrite pour discussion à l’Assemblée nationale le mardi 17 novembre.

Constitué de 32 articles, ce texte porte sur les outils de surveillance et la protection des forces de l’ordre. Il renforce, par ailleurs, les polices municipales et encadre les sociétés de sécurité privées. Critiquée sur le fond, dénoncée comme liberticide, cette loi rencontre très vite une farouche opposition au sein même du palais Bourbon, mais aussi auprès des médias et d’une partie de l’opinion publique. C’est surtout l’article 24, discuté en séance le vendredi 20 novembre, qui provoque la controverse. Celui-ci stipule : « Est puni d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende le fait de diffuser, par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support, dans le but qu’il soit porté atteinte à son intégrité physique ou psychique, l’image du visage ou tout autre élément d’identification d’un fonctionnaire de la police nationale ou d’un militaire de la gendarmerie nationale lorsqu’il agit dans le cadre d’une opération de police. » Il est malgré tout adopté ainsi que l’ensemble du texte par 388 voix contre 104. À noter que quinze députés du parti présidentiel rejettent ce texte. Ce vendredi chaotique pour le sommet de l’État voit le ministre de l’Intérieur décrié par sa majorité et un Premier Ministre recadré par l’un de ses ministres et par les présidents des deux assemblées.

Le lendemain, samedi 21 novembre, preuve par l’image avec la révélation d’une inadmissible bavure. Michel Zecler, producteur musical, est très violemment brutalisé en toute illégalité par trois policiers qui l’ont suivi à l’intérieur même de son studio de travail. L’absence de port du masque, constatée dans la rue auparavant, ne peut justifier ni même expliquer de tels agissements. Les représentants de l’autorité publique, dans leur rapport d’intervention, décrivent une situation que des enregistrements vidéo démentent de la façon la plus flagrante. Le passage à tabac est clairement visible sur les prises de vue. Et malgré les dénégations des agresseurs, on peut imaginer que les insultes raciales, dénoncées par la victime, accompagnaient les coups qui pleuvaient.

Cela tombe évidemment très mal pour le gouvernement… et très bien pour les pourfendeurs du texte et défenseurs du droit à l’image et de la liberté d’expression.

Le jeudi 26 novembre, le Premier Ministre Jean Castex retire l’article 24 et propose très maladroitement qu’une commission indépendante soit chargée d’en rédiger une nouvelle écriture. Tollé au sein des deux assemblées, car, de fait, les articles 24, 44 et 45 de la Constitution réservent cette prorogative aux seuls députés et sénateurs, représentants du peuple, élus au suffrage universel. Une fois de plus, le gouvernement démontre sa volonté d’agir seul et de prendre ses distances vis-à-vis du travail parlementaire.

Dans un tweet du 27 novembre, le chef de l’État dénonce le caractère inacceptable de l’agression. « Les images nous font honte », ajoute-t-il.

Samedi 28 et dimanche 29 novembre, dans les rues de Paris et de grandes villes de province, les dégâts sont nombreux. Les manifestations, rassemblant des centaines de milliers de personnes, à la fois soutiens de Michel Zecler et opposants à l’article 24, dérapent et les heurts éclatent. Des manifestants prennent à partie des policiers. L’un d’eux est isolé, jeté au sol et roué de coups. Selon le ministère de l’Intérieur, près d’une centaine de policiers et gendarmes auraient été blessés.

Au-delà de ce triste enchaînement, cet épisode démontre, une fois encore, le profond malaise qui existe aujourd’hui dans notre pays. Il me semble que nous sommes bien loin d’un autre tweet d’Emmanuel Macron publié ce même 27 novembre dernier : « Toujours. Ensemble. Dans la concorde », comme une incantation à laquelle plus personne ne croit.

Pour revenir au texte de loi, on ne peut ignorer les menaces proférées contre les forces de l’ordre. Le niveau de violence verbale, mais aussi physique, à l’encontre des policiers est chaque jour plus préoccupant. Les intimidations sur les réseaux sociaux les visent dans leurs missions, mais aussi dans leur vie privée jusqu’à atteindre leur famille. Tout ceci n’est plus tolérable. Mais restreindre la liberté ne peut être la solution.

Je comprends les motivations des rédacteurs de la proposition de loi. Les défenseurs de l’article 24 insistent sur le fait que c’est bien la diffusion dans le but de nuire qui est visée, mais malgré tout, cela revient à interdire de filmer et pose la question essentielle de la liberté de la presse dans une démocratie.

Je suis favorable à la suppression de l’article 24 en l’état, qui va fracturer davantage encore notre pays qui n’en a nul besoin, mais je suis partisan d’un plus large contrôle des réseaux sociaux. Les mesures coercitives doivent s’appliquer à ce niveau et sur ces vecteurs qui échappent pratiquement à toute loi. Certes, ils peuvent comporter le meilleur et avoir leur utilité, mais ils transmettent aussi le pire. Dans ce registre, ils véhiculent de fausses informations, de mauvaises intentions, des propos malveillants et des images de haine. Ils révèlent ce qu’il y a de plus vil dans l’être humain. Ils sont des transmetteurs et le réceptacle de malveillance et de violence.

Face à ces dangers, les démocraties doivent reprendre le pouvoir vis-à-vis de ces réseaux qui sont une nouvelle et sérieuse menace à notre équilibre et notre stabilité.