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Édito de la lettre du 1er février 2021

Même si l’actualité demeure accaparée par l’épidémie de coronavirus et l’incapacité française à organiser une vaccination de masse, je souhaite revenir sur un autre sujet important relayé plus modestement par les médias. Il s’agit de la signature, le 18 janvier, en présence du président de la République, par cinq représentants des fédérations de musulmans de France, de la « Charte des principes de l’islam ».

Cette religion est aujourd’hui la deuxième de France avec des fidèles très pratiquants, contrairement au catholicisme, première religion du pays, qui connaît une désaffection croissante. Inscrire l’islam dans le paysage républicain est un impératif auquel se sont confrontés de nombreux gouvernements lors des précédents quinquennats.

Mais c’est aussi une gageure tant celui-ci n’est pas organisé et ne répond à aucune structuration ni hiérarchie. Les mosquées sont sous influence et dépendantes des pays d’origine de leurs fidèles. Toutes mouvances rassemblées, les musulmans français sont sans doute proches des 10 millions d’individus dont 4 millions de pratiquants assidus. Compte tenu de l’encadrement strict des statistiques ethniques ou religieuses en France, il est très difficile d’avoir une donnée chiffrée précise.

Cependant, il est constaté que les rigoristes gagnent du terrain chez certaines populations, en prônant des idées et un mode de vie qui tendent à fracturer la communauté nationale et à imposer un ordre qui n’a rien de républicain. Respecter les principes fondateurs qui nous rassemblent, quelle que soit sa religion, est donc un enjeu majeur en matière d’unité nationale.

En cela, la signature de cette charte est une avancée. Mais comme souvent en politique, les bonnes nouvelles peuvent aussi cacher des désillusions. À l’étude du texte, on peut se réjouir, mais aussi s’interroger.

Tout d’abord, il est vraiment regrettable que la formulation*, notamment dans l’article premier, dont chaque mot a été discuté pendant plusieurs mois, demeure ambiguë. En effet, alors que le but de ce document était de clarifier et d’acter le respect des principes républicains par tous, certaines tournures de phrases laissent penser qu’il existe une communauté musulmane disjointe de la communauté nationale.

Pour rappel, dans notre principe républicain, il ne peut y avoir de distinction. La République est une et indivisible. Elle forme un tout, dans lequel chacun se fond, sans distinction de sexe, de race ou de religion, pour constituer la Nation française. Le communautarisme est opposé à nos principes fondamentaux.

Ensuite, il est tout de même étonnant, dans une charte destinée à affirmer les valeurs républicaines comme la laïcité, d’y trouver de nombreuses citations du Coran.

Enfin et surtout, sur les neuf fédérations constituant le Conseil français du culte musulman (CFCM), l’une a refusé d’emblée sa participation au travail de la charte et trois autres – dont les deux représentantes des musulmans turcs –, n’ont pas souhaité signer le document en l’état, contestant l’évocation littérale d’un islam politique.

Finalement, les signataires ne représentent qu’une minorité des 2 500 mosquées françaises.

Malgré tout, cette charte constituée de dix articles, si elle devait être appliquée, serait une avancée positive. Elle reprend la devise de la République et affirme la liberté de croire ou de ne pas croire, l’égalité entre les hommes et les femmes, et la fraternité par le refus des discriminations. Elle exprime également le rejet de l’instrumentalisation de l’islam à des fins politiques (en nommant le salafisme, le tabligh ainsi que le mouvement des Frères musulmans), l’attachement à la raison et au libre-arbitre ou encore à la laïcité et aux services publics. Enfin, la haine anti musulmans, la propagande et les fausses informations font l’objet de l’avant-dernier article, alors que le dernier est consacré aux éventuelles sanctions pour non-respect des principes énoncés. Ces dernières ayant surtout une portée symbolique.

Si cette signature, voulue par le gouvernement au moment de l’adoption par l’Assemblée nationale de la loi contre les « séparatismes », ne doit rien au hasard, elle entrouvre une porte jusque-là fermée. Elle met aussi en évidence, là comme ailleurs, les ruptures qui existent entre différentes pratiques d’une même religion. Le texte définit des limites claires afin d’éviter toute forme d’amalgame qui ne conduirait qu’à la haine et la violence.

Entre bonnes intentions et critiques sur son utilité, cette charte présente l’intérêt de fixer un cadre et d’ouvrir, au sein de cette religion, un débat salutaire sur l’adhésion aux principes de la République. Les musulmans de France sont avant tout des Français, au même titre que les croyants d’autres religions. Ils participent à la construction nationale dès lors qu’ils respectent les règles de la République.

En définitive, la principale inquiétude, que je partage, concerne la diffusion de ces principes dans les mosquées en France. Si elle ne devait rester qu’au stade des intentions et des déclarations, cette charte ne serait « qu’un coup de com’ ». Un de plus !

 

* « D’un point de vue religieux et éthique, les musulmans, qu’ils soient nationaux ou résidents étrangers, sont liés à la France par un pacte. […] Elle contribue [la charte] à instaurer des rapports apaisés et confiants entre la communauté nationale, dans sa diversité et sa pluralité, et tous les musulmans vivants sur le territoire de la République, qu’ils soient nationaux ou résidents étrangers. »