Fermer

Édito de la lettre du 1er juin 2021

Jeudi 27 mai, le président de la République s’est exprimé au mémorial de Gisozi au Rwanda à propos du génocide des Tutsis commis entre avril et juin 1994. Alors, 800 000 personnes, hommes, femmes et enfants, avaient été exterminées. Le chiffre est effarant d’autant que le pays ne comptait que 6 millions d’habitants.

Par la voix de son Président, la France, mise en accusation, reconnaît des fautes. Que lui est-il reproché exactement ? Le rapport Duclert, du nom de l’historien spécialisé dans l’étude des génocides et crimes de masse, nommé à la tête d’une commission chargée d’analyser le rôle de la France, a conclu aux « responsabilités lourdes et accablantes » de notre pays et à l’« aveuglement » du président socialiste de l’époque, François Mitterrand, et de son entourage face à la dérive raciste et génocidaire du gouvernement hutu, soutenu financièrement et militairement par Paris.

La France « n’a pas été complice », mais elle a fait « trop longtemps prévaloir le silence sur l’examen de la vérité », a déclaré Emmanuel Macron dans son discours, en ajoutant que « seuls ceux qui ont traversé la nuit peuvent peut-être pardonner, nous faire le don de nous pardonner ». Les mots prononcés étaient ciselés, le ton juste et solennel. Mais une nouvelle fois, la polémique enfle. Le Président aurait-il dû, au nom de la France, présenter des excuses au peuple rwandais ?

C’est une antienne entendue depuis quelques années. L’esclavage, le passé colonial, Vichy, l’Algérie, le Rwanda : pour certaines minorités agissantes et bruyantes, la France devrait s’excuser sans cesse de son passé, de son histoire. Elle serait créatrice du suprémacisme blanc qui nourrit le racisme, l’oppression et la violation des droits de l’Homme. Elle est l’éternelle coupable.

C’est oublier que l’histoire du monde est faite de conquêtes, d’invasions, de colonisateurs et de colonisés. Notre pays, lui-même, a connu des envahisseurs, des occupations et des périodes douloureuses. Devrions-nous demander indéfiniment réparation aux descendants des Romains, des Vikings, des Huns ou plus récemment des Slaves ou des Allemands ? Il y a 76 ans, la France se libérait du joug nazi et pleurait ses 570 000 morts. En 1963, soit seulement 18 ans après la victoire des forces alliées, Conrad Adenauer et Charles de Gaulle signaient le traité de l’Élysée qui scellait l’amitié des deux peuples, français et allemand, et constituait une promesse d’alliance. Une volonté réciproque, portée par deux géants, abattait toutes les barrières, dépassait toutes les rancœurs pour se tourner vers l’avenir. Du chaos naissait le pardon et la paix.

Certes, notre pays, nos illustres figures, nos ancêtres, au regard de valeurs contemporaines, et pas seulement, peuvent être critiquables et leurs actes inacceptables. Mais l’Histoire est un tout. Elle est faite de nuances, d’ombre et de lumière, mais elle ne se fragmente pas, ni ne se divise. Qui peut affirmer qu’aujourd’hui ne sera pas décrié demain ? Emmanuel Macron, en 2017, alors candidat à la présidence de la République, avait qualifié le colonialisme de crime contre l’humanité. Ces propos, regrettés depuis lors par son auteur, avaient provoqué l’ire des pieds-noirs, mais aussi de tous ceux qui considéraient que le récit national, y compris dans ce qu’il a parfois de dérangeant, ne se décrète pas. Éclairé par des chercheurs et des historiens, le chef de l’État semble avoir évolué et ses mots sont aujourd’hui pesés au trébuchet. Cette attitude prudente est de bon aloi car l’anachronisme et la sentence rapide sont sources de confusion et d’injustice. En 1863, Charles de Montalembert l’avait parfaitement résumé dans cette phrase : « Pour juger du passé il aurait fallu y vivre ; pour le condamner il faudrait ne rien lui devoir. »

Lire le discours du président de la République