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Édito de la lettre du 1er mars 2021

Déconstruire l’édifice.

Les exemples se multiplient. Pris séparément, ils peuvent paraître marginaux, mais cumulés, ils dessinent progressivement une autre société. Il y a, depuis quelques années, avec une accélération récente, un mouvement de déconstruction des fondements de notre vie en commun. Certains sujets sont majeurs et d’autres anecdotiques, mais tous vont dans le même sens. En voici quelques-uns.

La détermination sexuelle, adossée au genre, ne serait, selon ses principaux théoriciens, qu’une construction sociale et le but du transgenrisme serait de libérer les minorités sexuelles de l’oppression qu’elles subissent de par l’existence de normes. Nous arrivons là au paroxysme de la liberté totale, à la toute-puissance du moi. La fin de Monsieur Patate, sacrifié sur l’autel de la théorie du genre peut faire sourire, mais le fabricant Hasbro qui l’avait créé en 1952 ne s’y est pas trompé. Égalité des genres et inclusion, les nouveaux mots magiques sont au cœur de la politique marketing du groupe. Business is business !

L’écriture dite inclusive (-e) fait son entrée à Sciences Po (encore elle !), par l’ajout d’un demi-point de bonus pour ceux qui l’appliquent, dans un examen de sociologie. Ces pratiques cherchent à éviter toute discrimination sexiste par le langage ou l’écriture. Mais, notre langue, qui a son histoire et ses règles propres, devrait-elle évoluer en fonction de revendications identitaires individuelles ?

L’islamo-gauchisme, fléché par la ministre des Universités, Frédérique Vidal, dont la simple évocation crée polémiques, pétitions et lettres ouvertes, est bien une réalité de nos universités. Apparue au début des années 1990, l’expression désigne une alliance militante entre les milieux islamistes et ceux d’extrême gauche au nom de la cause palestinienne. Elle caractérise notamment une tendance communautariste à caractère religieux qui vient en opposition aux principes de la République, fondés sur l’égalité, l’assimilation et la laïcité.

Le maire écologiste de Lyon impose un menu unique sans viande, s’accommodant à sa façon du principe d’éducation au goût et de l’équilibre nutritionnel que constituent normalement les repas pour les enfants dans le cadre scolaire. Il instaure ainsi un nouvel ordre alimentaire répondant, sans le dire, à des revendications idéologiques et religieuses, mais en rupture avec notre tradition culinaire et au détriment d’une filière agricole déjà en souffrance.

La loi bioéthique, j’ai eu l’occasion d’en parler plus longuement dans ma Lettre du 15 février dernier, institutionnalise les manipulations scientifiques où le corps humain devient un outil, un accessoire au service du droit à l’enfant, au service de nouvelles formes de familles, avec l’enfant orphelin de naissance notamment.

Les animalistes activistes et autres antispécistes se revendiquent guerriers de la cause animale en saccageant boucheries et poissonneries, en distribuant bons et mauvais points aux parlementaires selon leurs votes et en dictant la bien-pensance animale. Exit la chasse, même si elle participe à la régulation des espèces en l’absence de grands prédateurs tels le loup, le lynx ou l’ours. Fini l’élevage, la vénerie et la corrida, même si leur pratique est séculaire et fait partie de nos traditions régionales. Le bien-être animal est certes un sujet important, mais « l’homme est la mesure de toutes choses ».

Les thèses dites « décoloniales » initiées et défendues par la mouvance indigéniste, portées d’abord par l’extrême gauche américaine, adoptées en France avec un certain écho, prônent l’idée que toute la société occidentale est la conséquence de l’homme blanc hétérosexuel et intrinsèquement raciste, sexiste et homophobe. Selon la théorie, le Blanc, du simple fait d’être blanc, serait raciste, car il aurait été socialisé dans un environnement le condamnant à le devenir. En dehors de toute référence historique et donc parfaitement anachronique, certaines actions mènent à des aberrations. Ainsi, en Grande-Bretagne, à la demande de quelques élèves, une école du nom de Winston Churchill fut débaptisée sous prétexte de propos tenus par le grand homme à l’endroit des Indiens, marqués par les préjugés de l’époque coloniale. En France, à La Martinique, des manifestants anti-héritage colonial ont fait tomber des statues de l’homme qui a décrété l’abolition de l’esclavage, Victor Schoelcher, parce qu’il était blanc.

On pourrait également citer ici le wokisme, qui éveille aux minorités, dans le sillage du mouvement Black Lives Matter, ou l’Intersectionnalité qui invite à croiser les caractéristiques identitaires d’une personne (genre, classe, sexe, religion, âge, handicap) pour la placer sur l’échelle des discriminations et des privilèges.

Revisitant l’Histoire, condamnant le passé qui a faits ce que nous sommes pour nous enfermer dans un présent formaté idéologiquement, interpellant notre conscience sur le seul mode d’une prétendue culpabilité, ces idées progressent insidieusement, alors que ces théories largement artificielles sont portées par des minorités restreintes. Comme souvent, le pouvoir politique, se voulant compatissant, est en réalité faible. En se mettant à l’écoute de revendications particulières il se révèle complaisant, voire complice et,  n’entendant que les voix les plus bruyantes, va  jusqu’à considérer qu’elles sont l’expression de la majorité. Erreur ! Elle mène à ne réaliser que tardivement leur dessein final, lequel n’a rien de la douce philanthropie affichée, mais tout d’un radicalisme moral qui fait le lit des tyrannies.

Ce qui construit une société, une nation, c’est une langue commune, une Histoire partagée, tout un patrimoine culturel, auquel appartiennent à part entière tradition culinaire, arts des métiers ou agriculture d’élevage. Ces mouvements inverses, disparates, exaltent chacun une autre société, d’autre perspectives, d’autres valeurs, non pas comme une évolution, mais comme une rupture délibérée et vindicative.

Je ne pense pas qu’elles correspondent à l’aspiration profonde de nos concitoyens. Rien en tout cas ne le prouve. C’est pour cette raison que ces sujets de société qui induisent des modifications substantielles, voire des bouleversements, nécessitent la consultation des Français. Ceux-ci doivent être sollicités et il me semble important, dans un monde qui bouge, se crispe et se fracture, que le référendum, à l’instar d’autres pays, devienne un outil habituel de l’expression démocratique, quitte à instaurer le vote électronique spécifiquement pour cela.

Débattre sereinement, redonner la parole aux citoyens, faciliter le vote sur ces sujets et finalement, confier aux Français le choix de leur destin seraient sans doute la vraie modernité.