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Édito de la lettre du 5 juin 2020

« Je ne peux plus respirer », telle est la dernière phrase prononcée par George Floyd, 46 ans, en mourant sous la botte d’un policier blanc, lors de son arrestation le 25 mai à Minneapolis. Devenue un slogan, reprise par des milliers de personnes pour protester contre les violences policières à l’encontre des Noirs américains, cette formule symbolise à elle seule toute la brutalité d’une certaine Amérique. Les manifestations, le plus souvent pacifiques, sont organisées dans de nombreuses villes depuis bientôt deux semaines. À Washington où le rassemblement tournait à l’émeute, le Secret Service a mis à l’abri, par mesure de précaution, le président Trump dans le bunker sous la Maison Blanche. Des affrontements violents se multiplient et l’Amérique s’embrase à nouveau face à son mal chronique : le racisme. L’assassinat d’un homme qui n’était en rien menaçant est un drame. C’est le plus abject des crimes lorsque celui-ci est dû à la couleur de peau.

En France, ce triste épisode a ranimé l’affaire judiciaire Adama Traoré, ce jeune homme de 24 ans, mort en 2016 à la suite d’une course poursuite et de son interpellation par la gendarmerie à Beaumont-sur-Oise. Même si les deux affaires sont aujourd’hui rapprochées, ni la situation, ni le contexte ne sont les mêmes. Le point commun est que, dans une démocratie, un homme ne peut mourir dans ces circonstances.

Lors d’une question au gouvernement, mercredi dernier au Sénat, le ministre de l’Intérieur a promis que « chaque faute, chaque excès, chaque mot, y compris des expressions racistes, fera l’objet d’une enquête, d’une décision, d’une sanction ». C’est bien. Ce devrait même être une évidence. C’est parce que l’autorité des policiers, en charge de faire respecter la loi, se fonde sur un comportement irréprochable dans l’exercice de leurs missions que rien ne peut excuser leurs violences lorsqu’ils ne sont pas mis en danger.

La veille de l’intervention du ministre, La République du Centre relatait l’arrestation d’un homme de 32 ans, alcoolisé, qui avait porté des coups de couteau à un « ami » sur les quais de Loire à Orléans. L’agresseur avait été déjà condamné à 29 reprises. Quel est le sens de l’action de la police dans ce type de situation ? Je peux comprendre l’exaspération des policiers face à l’impunité. On le sait, les jugements interviennent souvent de nombreux mois après les faits et la plupart des peines prononcées ne sont jamais effectuées. La justice de notre pays, faute de moyens, faute de volonté, faute de sanctions adaptées, ne permet pas d’apporter une réponse à nombre de faits de violence et de délinquance. Ce phénomène s’amplifie, car des délits de plus en plus graves et des peines de plus en plus lourdes ne donnent pas lieu à incarcération.  Chez les terreurs des banlieues, les petites frappes et les voyous cette impunité institutionnalisée autorise toutes les récidives.

Il n’y a évidemment pas de lien entre le crime abject d’un policier pour cause de racisme et l’arrestation d’un délinquant multirécidiviste qui ne risque sans doute aucune sanction. En rien je ne voudrais laisser croire que l’absurdité d’une situation excuse l’ignominie de l’autre. Mais ces deux cas, situés aux deux extrémités de la violence humaine, démontrent que c’est toute la chaîne de l’ordre public et pénale qui ne fonctionne pas de façon satisfaisante.

Au pays de l’Égalité, la neutralité de la police doit être absolue, mais au pays de la Liberté, la justice doit pouvoir garantir que toute personne ne respectant pas la loi est réellement punie. C’est sans doute dans le respect de ces deux principes que nous retrouverons l’apaisement, et c’est aussi la condition d’une société équilibrée et juste.