Édito de la lettre électronique du 16 juillet 2024
À l’issue du deuxième tour des élections législatives, les commentaires sur les plateaux, sur les ondes ou dans les journaux étaient presque unanimes pour affirmer que le grand perdant de ce scrutin était le Rassemblement national. Il me semble que l’envie a probablement altéré la lucidité des politologues en tout genre, tous opposés à ce parti, car malheureusement les chiffres analysés froidement contredisent cette appréciation.
Si perte il y a, c’est vis-à-vis d’une hypothèse – la majorité absolue et la nomination de Jordan Bardella à la tête du gouvernement – qui a permis de mobiliser et de constituer un très efficace front républicain. Mais, alors que la participation connaissait, enfin, des chiffres dignes d’une démocratie mature, le score, en nombre de voix, du parti d’extrême droite est sans appel. D’une part, la progression, en deux ans, est considérable : 10 132 000 voix pour 142 sièges dont 38 dès le premier tour en 2024, à comparer aux 3 590 000 voix pour 89 sièges et 0 élu au premier tour en 2022. D’autre part, en 2024, l’avance du nombre de voix de ce parti sur celui de ses adversaires est immense.
Ainsi, la conclusion d’une défaite du RN relève d’une analyse tronquée, où sont considérés des votes au profit d’un seul parti (RN) rapportés à ceux d’une coalition électoraliste (EELV, PS, PC, LFI) dont les idées sont dissemblables sur la plupart des sujets majeurs. L’écart est d’environ 2,7 millions de voix en défaveur du Nouveau Front Populaire qui a obtenu 7 420 000 suffrages. La France Insoumise qui fait beaucoup de bruit pour rien n’a pas progressé entre 2022 et 2024, au contraire de ses alliés PS (32 sièges supplémentaires) et Verts (12 sièges supplémentaires). La coalition gouvernementale est en réalité la grande perdante de cette élection puisqu’elle compte 78 parlementaires en moins, passant de 246 à 168. La droite LR et apparentés, dont la disparition était annoncée, se stabilise.
Malgré cette lecture factuelle, une grande prudence est de mise car ces résultats sont en trompe-l’œil en raison du front républicain. Nombre de députés, sur tous les bancs, hors ceux du RN, ont été élus par défaut. La nouvelle composition de l’Assemblée ne reflète pas les équilibres politiques de notre pays : ils sont particulièrement instables parce que issus d’une situation exceptionnelle (du moins faut-il l’espérer…).
Quelle conclusion peut-on tirer de ces élections ? Il convient de noter la relative stabilité en nombre de voix du RN dans trois scrutins en l’espace d’un mois. Ainsi, un socle solide d’électeurs semble s’être constitué. Sachant que, par ailleurs, les règles en matière de financement des partis politiques sont claires (1,1 € par voix obtenue au premier tour puis 37 000 € par parlementaire et par an), le grand gagnant est encore le RN qui devrait toucher environ 15 millions d’euros par an, ce qui lui permettra d’aborder sereinement les élections à venir. Ces différents éléments – la stabilité de son électorat, le financement issu de ces élections, mais aussi la dispersion des sensibilités politiques adverses qui se caractérise par un nombre record de groupes parlementaires – mettent plus que jamais le Rassemblement national aux portes du pouvoir. Sans un sursaut des partis dits de gouvernement, de droite et de gauche, celui à la flamme semble inarrêtable.
Et que peut-il se passer désormais ? La répartition des sièges et les dynamiques politiques en présence suggèrent clairement que des majorités au sein de l’Assemblée nationale seront introuvables. Aucun bloc ne peut se constituer en nombre suffisant de députés pour garantir une stabilité et voter les textes déterminants.
Ces sujets sont au cœur de toutes les discussions et souvent, lors de mes déplacements dans les communes, j’entends la demande pressante de la défense de l’intérêt général et d’une coalition en dehors des deux extrêmes. Je reconnais bien volontiers qu’il s’agit d’une belle idée, mais les chambres parlementaires ne peuvent fonctionner comme nos communes et les gouvernements comme nos municipalités. Sur les principales attentes des Français – l’immigration, la sécurité, le pouvoir d’achat, le fonctionnement des services publics –, qu’y a-t-il de commun entre les programmes et les engagements de la gauche et de la droite, entre l’approche des différentes tendances de la coalition « Ensemble » ? Rien ! Les visions de notre société sont différentes et s’opposent. Vouloir les rapprocher serait artificiel. Le « en même temps » a radicalisé les positions car il a débouché sur un échec et le rejet par une grande majorité de nos concitoyens.
Alors que l’Assemblée ne peut, constitutionnellement, être dissoute avant une année, soit le 8 juillet 2025 au plus tôt, la nomination d’un gouvernement non politique constitué de ministres experts dans chacun de leurs domaines peut être une solution transitoire. Cela signifie sans doute que, faute de consensus, rien n’avancera concernant les grands maux de notre pays, mais qu’au moins les affaires courantes seront traitées et qu’un semblant d’apaisement pourra s’instaurer.
L’apaisement, c’est ce dont le débat politique manque cruellement. Cette dissolution et ses conséquences ternissent l’image de notre pays et amplifient des fractures déjà profondes. Par ailleurs, elles vont avoir un coût considérable, car l’instabilité pèsera lourdement sur l’économie et les entreprises. Même si des coalitions paraissent impossibles, les élus du 7 juillet 2024 – et parmi eux je salue tout particulièrement Constance de Pélichy pour son résultat brillant – auront la (lourde) responsabilité de calmer l’inquiétude du pays. Du travail, du sérieux, de la rigueur et un peu de modestie, c’est ce qu’espèrent aujourd’hui les Français en attendant des jours meilleurs.
Hugues Saury
Le 16 juillet 2024