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Édito de la lettre du 14 février 2023

On a pu constater à plusieurs reprises depuis le début de la législature que le climat dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale relève davantage d’une cour de récréation ou d’une AG d’étudiants en grève (j’en ai vécues quelques-unes !) que d’une assemblée parlementaire. En novembre dernier, l’apostrophe du député RN Grégoire de Fournas (« Qu’il retourne en Afrique ! »), ambiguë, car on ne savait s’il parlait du bateau ou de l’orateur, et donc inadmissible, avait déjà donné un aperçu du niveau des échanges. Mais avec les débats sur la réforme des retraites, la tonalité est montée d’un cran. Les invectives fusent et les interpellations peu amènes d’un bout à l’autre de l’hémicycle donnent lieu à des débordements invraisemblables et choquants. Les limites de l’acceptable sont parfois dépassées. Ainsi, en quelques jours, certains épisodes ont marqué les opinions.

Le 7 février, lors de sa première prise de parole après son exclusion de quatre mois, Adrien Quatennens (LFI), condamné en décembre pour des faits de violence envers son épouse, est conspué par une partie de l’hémicycle, applaudi par l’autre. Le tumulte se solde par une suspension de séance. Toujours le 7 février, Louis Boyard, jeune député LFI de vingt-deux ans, pendant la séance des Questions au Gouvernement, interpelle brutalement le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, à propos de violences policières commises à l’encontre des lycéens dans les manifestations. L’escalade continue le 9 février avec la publication d’un tweet du député Thomas Portes (LFI). Celui-ci apparaît ceint de son écharpe tricolore, le pied posé sur un ballon à l’effigie du ministre du Travail, Olivier Dussopt, et du président de la République, Emmanuel Macron. Pressé par la présidente de l’Assemblée, Yaël Braun-Pivet, de retirer sa publication et de formuler des excuses, le député Portes répond sous les quolibets et dans le chahut le plus total : « Je ne me coucherai pas devant la bourgeoisie. » On pourrait ajouter la députée Ersilia Soudais (LFI encore), qui apostrophait les élus macronistes pour leur demander s’ils étaient « orgueilleux ou bien des monstres ». La liste complète des faits n’a que peu d’intérêt, si ce n’est de démontrer la déliquescence de ce qui est réputé être le temple de la démocratie dans notre République : l’Assemblée nationale. Cette décomposition de la vie démocratique, qui parfois, je l’avoue, me met mal à l’aise, se nourrit de et alimente à la fois la médiocrité et la vulgarité médiatique. Ainsi, en novembre dernier, sur C8, l’animateur Cyril Hanouna, coutumier du genre, dans son émission « Touche pas à mon poste », insulte son invité, le député Louis Boyard, et le traite de quelques noms d’oiseaux (« bouffon », « tocard », « abruti », « t’es une merde »…). La chaîne est condamnée par l’Autorité publique de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM) à verser une amende record de 3,5 millions d’euros.

Même si, au cœur de la révolte de mai 68, Alain Peyrefitte, qui était un homme érudit et un esprit brillant, déclarait à l’Assemblée nationale « Il faut tirer le meilleur du pire », je cherche en vain ce que ce chaos peut engendrer de positif. Je crains qu’on ne prenne pas la mesure des dégâts que vont produire dans l’opinion publique, en particulier chez les plus jeunes, des comportements si peu dignes et qui rabaissent ce pilier de notre vie démocratique. L’anarchie et la violence des débats ne peuvent que dégoûter les Français de la démocratie représentative et par là même d’aller voter. L’absence de tenue des échanges, la vacuité intellectuelle et la démagogie desservent l’image de la France. Ces querelles immatures sont un appel permanent à la haine et à l’intolérance dans notre société.

Fort heureusement la Haute Assemblée est aujourd’hui préservée de ces excès. Les extrêmes, du fait du mode de scrutin, n’y sont pas représentés. Les débats, même s’ils peuvent parfois paraître agités, voire passionnés, restent dans une mesure acceptable d’expression des opinions. Ils sont sous contrôle. En France, en cette année 2023, le Sénat demeure le garant de l’esprit républicain. Il suffit de comparer pour s’en persuader. Et, pour reprendre un ancien slogan d’une radio du service public, on peut affirmer : « Écoutez la différence » !