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Édito de la lettre électronique du 19 février 2024

La crise agricole est révélatrice de l’incapacité française à prendre à bras le corps un dossier pour le traiter durablement. Car cela fait de nombreuses années que les agriculteurs se plaignent, à juste titre, de toutes les normes, injonctions contradictoires (produire mieux à moindre coût), surtranspositions (454 substances actives autorisées en Europe contre 309 en France) et autres entraves que leur imposent les pouvoirs publics. Cela fait de nombreuses années que le rapport entre le prix de vente à la production et celui à la consommation est déséquilibré au détriment du producteur. Cela fait de nombreuses années que la profession agricole connaît une surmortalité par suicide, signe le plus tragique et le plus alarmant de la détresse d’une profession.

Pourtant, la France possède tous les atouts pour rester l’un des leaders mondiaux. Elle est le seul pays d’Europe à bénéficier d’une diversité de climat, avec des terroirs sous influences océaniques, continentales ou méditerranéennes. Ainsi, toutes les productions agricoles que l’on trouve en Europe sont présentes en France. Et au-delà, dans les départements d’Outre-Mer, se développe une agriculture de qualité.

Historiquement, notre pays et son agriculture sont indissociables. Enfants, nous apprenions la formule de Sully au roi Henri IV : « Labourage et pâturage sont les deux mamelles de la France », formule réactualisée par VGE qui déclarait: « L’agriculture est le pétrole vert de la France ». Ainsi en 1978, l’excédent agricole représentait le septième de la facture pétrolière française. Pourtant, en ce début du xxie siècle, tous les indicateurs refluent.

100 000 exploitations ont disparu au cours des 10 dernières années soit 1 sur 5, et 50% de nos agriculteurs partiront en retraite d’ici 10 ans. L’époque où tout Français avait un parent ou grand-parent agriculteur (« cultivateurs » avant, et « paysan » encore avant) est révolue depuis longtemps et l’emploi agricole ne représente plus aujourd’hui, au niveau national, qu’une proportion marginale (2,6% de l’emploi total métropolitain selon un recensement de l’INSEE en 2019). Malgré cela, le secteur demeure le premier employeur dans le quart de nos 35 000 communes.

D’un point de vue économique, l’activité agricole est marquée par des variations de revenus brutales, en lien notamment avec l’instabilité des marchés mondiaux et les aléas climatiques. Après plusieurs années difficiles, en 2021 une exploitation agricole dégageait un résultat moyen annuel de 41 000 euros par actif non salarié (source : chambres d’agriculture). Aujourd’hui dans le Loiret, elle est estimée à environ 45 000 euros. Mais ces chiffres masquent de grandes disparités tant le métier agricole se conjugue au pluriel. Il est évident que le producteur de céréales en Beauce n’a pas les mêmes revenus que l’éleveur ovin ou caprin en Sologne. Toutefois, tous subissent une égale tendance haussière des prix de production liée aux tensions sur les marchés mondiaux, du prix des intrants, du carburant et de l’énergie.

En vingt ans, la France est passée du 2e au 5e rang des exportateurs mondiaux de produits agricoles (6e avec l’agroalimentaire). Alors que la balance commerciale française est en déficit chronique de plus de 100 milliards d’euros, en 2022 l’agriculture est la troisième activité excédentaire, à hauteur de 10 milliards, après l’aéronautique et la chimie. Selon un rapport sénatorial sur la compétitivité de « la ferme France » (publié le 28 septembre 2022), l’agriculture française poursuit néanmoins  sa lente érosion car proportionnellement elle exporte de moins en moins alors qu’on importe de plus en plus. La plupart des secteurs sont touchés. Ainsi, 1 poulet sur 2 consommés en France est importé, 56% de la viande ovine est d’origine étrangère, 28% des légumes et 71% des fruits dans nos assiettes sont cultivés hors du sol national.

Concernant les conditions météorologiques et le changement climatique, le secteur en subit déjà les effets dévastateurs sur les récoltes. Mais la profession n’a pas attendu l’accentuation et l’accélération de ces phénomènes extrêmes pour s’adapter. L’utilisation raisonnée de l’eau, l’ajustement des dates de semis ou bien la diversification des assolements, pour ne citer que ces exemples, sont autant de solutions mises en place par les agriculteurs pour répondre au défi du réchauffement climatique. Les injonctions de Bruxelles, parfois excessives ou inadaptées, ont toutefois encouragé la prise en compte par la profession de cette nouvelle contrainte. Entre produire pour nourrir et respecter pour sauvegarder, comme souvent, l’équilibre reste à trouver.

Les agriculteurs manifestent depuis plusieurs semaines. L’opération de retournement des panneaux indicateurs de nom de commune avec pour slogan « On marche sur la tête » alertait efficacement sur une politique agricole menée en dépit du bon sens. Car oui, les importations au bilan carbone catastrophique d’aliments en provenance du Brésil ou du Canada cultivés aux OGM interdits en France, ou dopés aux engrais prohibés sur notre sol sont à la fois une absurdité et un scandale. Oui, il est anormal que de nombreux agriculteurs ne puissent vivre de leur dur travail alors qu’ils produisent des biens de première nécessité. Oui, le montant des retraites agricole est indigne. Oui, la gestion administrative n’est plus tenable lorsqu’elle doit se faire au détriment du métier lui-même. Oui, les règles environnementales prennent parfois un aspect doctrinaire et excessif. Oui, les directives et obligations devraient être  homogènes en Europe afin que la compétition économique ne soit pas biaisée.

Sur tous ces points, des promesses ont été faites par le Premier ministre et celui de l’agriculture. L’Union européenne, qui verse plus de 9 milliards d’euros à l’agriculture française, édicte des règles qui ne permettent sans doute pas de réduire toutes les difficultés, mais des avancées importantes sont encore nécessaires. Les promesses doivent être tenues car le secteur a besoin d’être résolument relancé, afin que les agriculteurs retrouvent foi en leur rôle et les Français la fierté de leur campagne et de ceux qui la travaillent. Plusieurs propositions de loi et rapports transpartisans ont été réalisés au Sénat. Ils tracent des pistes et suggèrent une politique différente en faveur de notre agriculture. Il serait trop long de les détailler ici, mais vous pourrez les retrouver sur le site du Sénat aux adresses ci-dessous.

Dans quelques jours s’ouvrira le Salon de l’agriculture. Je souhaite à tous les agriculteurs de notre pays la réussite de leur combat et la perspective de jours meilleurs. Jules Renard écrivait : « Le berger avec ses moutons à l’air d’une église avec son village. » Comment peut-on dire mieux que l’agriculture c’est la France ?

Olivet, le 18 février 2024

Hugues Saury

Compétitivité de la ferme France

Proposition de loi pour un choc de compétitivité en faveur de la ferme France