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Édito de la lettre d’information du 2 novembre 2022

Depuis quelques mois, le sujet de la fourniture de l’énergie fait rage à l’échelle mondiale et celui de son coût en France se pose de façon aiguë pour les ménages, les entreprises et les collectivités. Au Sénat, l’actualité législative nous conduit cette semaine à étudier le projet de loi relatif à l’accélération de la production d’énergies renouvelables.

Il est parfois difficile de comprendre tout autant les choix passés que ceux d’aujourd’hui. Sans remonter aux recherches de Frédéric Joliot-Curie, les progrès de la science sont tels dans l’immédiat après-guerre que le général de Gaulle, alors président du Gouvernement provisoire, instaure le Commissariat à l’énergie atomique. La première pile atomique française, Zoé, est créée au fort de Châtillon à Fontenay-aux-Roses en 1948. Quinze ans plus tard, Électricité de France est chargée de mettre en place le programme électronucléaire qui permettra, entre 1963 et 1971, la construction de six réacteurs nucléaires, notamment à Saint-Laurent-des-Eaux, aux portes de notre département. Ce sont alors 5% des besoins français en électricité qui sont produits par cette nouvelle énergie. Par l’édification de nombreux réacteurs – jusqu’à 58, répartis dans 19 centrales –, le nucléaire dépasse les autres productions d’énergies et, à partir des années 1990, devient la source majoritaire de l’électricité produite sur notre sol pour couvrir presque 80% de nos besoins. Ce bref historique a pour but de rappeler l’inventivité et l’agilité de notre pays dans cette période des Trente Glorieuses. Les progrès scientifiques étaient immenses, les décisions politiques fortes portées par une vision donnaient lieu à une planification.

À la fin des années 1970, un mouvement antinucléaire civil, puissant dans l’opinion politique, se développe, avec notamment « l’affaire de Plogoff » et le projet de construction d’une centrale proche de la Pointe du Raz. La catastrophe de Tchernobyl en 1986 exacerbe cette opposition portée par les mouvements écologiques. Pendant les années Mitterrand, les projets en cours sont menés à terme, mais aucune nouvelle centrale n’est mise en chantier. C’est le premier coup d’arrêt. Il y en aura d’autres et particulièrement durant le quinquennat Hollande où, sous la pression écologiste, est programmée la diminution à 50% de la part du nucléaire au profit des énergies renouvelables telles que l’éolien, le photovoltaïque, l’hydraulique… L’objectif est, à l’instar de l’Allemagne, le démantèlement à terme de la filière nucléaire. Cette stratégie continue à être portée au plus haut niveau par Emmanuel Macron, jusqu’en 2020. La fermeture des deux réacteurs de Fessenheim en est le premier effet. Elle résulte d’un décret de François Hollande pris en 2017, cassé par le Conseil d’État, repris sous la présidence d’Emmanuel Macron et signé par Élisabeth Borne, alors ministre de l’Écologie. La décision de mettre à l’arrêt 14 réacteurs de 900 mégawatts d’ici à 2035 constitue le deuxième acte et l’affirmation d’une volonté politique de rupture avec l’énergie nucléaire. Ainsi, on déplore actuellement que presque toutes les centrales soient concernées par l’arrêt d’un ou plusieurs réacteurs, que 36 réacteurs soient déjà à l’arrêt ou démantelés, alors que seulement 5 sont en projet ou en phase de construction. Enfin, sur les 56 réacteurs existants, répartis dans 18 centrales, plus des deux tiers atteindront la limite de durée d’exploitation en 2025.

À l’approche des élections présidentielles de 2022, devant la paupérisation de notre parc nucléaire et les menaces de conflits qui s’annoncent, le Président, en contradiction avec ses orientations précédentes, s’affirme pronucléaire et affiche une volonté de relancer la production d’usines de nouvelle génération.

En 2021, 69% du mix énergétique en France étaient encore nucléaire, plaçant ainsi notre pays au premier rang mondial en part produite. Grâce à cette politique, qui trouve son origine et son développement dans les années 1960, la France est aussi le pays développé le moins producteur de CO2 où le coût de l’électricité est parmi les moins onéreux. C’est un avantage économique considérable, c’est une sécurité d’approvisionnement pour les consommateurs, c’est un atout écologique.

Dans le même registre des décisions d’ordre écologique, mais peut-être aussi dogmatique, l’Union européenne entérinait, il y a quelques jours, la fin de la vente des véhicules à moteur thermique, y compris hybrides, en 2035. Cette disposition radicale s’appuie-t-elle sur la garantie que le bilan carbone des voitures électriques – production, utilisation, déconstruction – est clairement plus favorable ? A-t-elle pris en compte le fait que la dernière automobile à moteur thermique d’un particulier sera totalement décotée à la revente, alors que, souvent, elle constituait l’apport financier de l’acquisition suivante ? A-t-on la garantie que nos véhicules considérés comme polluants n’auront pas une seconde vie dans une autre partie du monde, car quel serait, in fine, le gain environnemental ? A-t-on l’assurance que les personnes vivant en habitat collectif (la densité n’est-elle pas prônée par les règles urbanistiques ?) auront à disposition, en 2035, suffisamment de bornes de recharge ? Je ne suis pas certain qu’une réponse précise soit apportée à chacune de ces simples questions, alors que beaucoup d’autres, plus complexes, se posent. Je ne vois pas la cohérence dans l’incitation à consommer davantage d’électricité, en mutant à marche forcée le parc de véhicules, alors même que nous ne sommes plus maîtres de notre production électrique et qu’il faudra attendre plusieurs décennies pour retrouver une forme d’autonomie dans la production de celle-ci.

La chronologie du développement nucléaire civil en France sera sans doute, dans les livres d’histoire, comme le symbole et la chronique du déclin d’un pays dû à l’impéritie de ses dirigeants qui n’ont pas su maintenir un cap, ont alterné, dans un domaine qui nécessite de la constance, les phases de développement et les phases d’arrêt sous l’influence d’idéologues extrémistes. Par ces atermoiements, ils ont mis à mal toute une filière technologique et industrielle d’excellence, ils ont fait perdre une expertise et de nombreux emplois. Enfin, ils ont placé la France dans la situation de se couvrir d’éoliennes dont personne ne veut en grand nombre, et bradé ce que le général de Gaulle et ses successeurs immédiats avaient, eux, parfaitement intégré : garantir la souveraineté énergétique de notre pays. On pouvait dire alors : « En France, on n’a pas de pétrole, mais on a des idées. »