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Édito de la lettre électronique du 21 mai 2024

Colonisée sous Napoléon III, la Nouvelle-Calédonie est française depuis 171 ans. Cet archipel situé à 17 000 km de Paris, peuplé à 41% de Kanaks (population autochtone mélanésienne) et à 24% de Caldoches (population d’origine européenne) est aujourd’hui au bord de la guerre civile. En ce samedi 18 mai, cinq jours après le début des heurts, six morts sont déjà à déplorer. Ce n’est pas le premier épisode violent, puisque ce territoire du Pacifique Sud avait connu des émeutes entre partisans et opposants de l’indépendance avec pour point culminant la prise d’otages à Ouvéa en 1988. Après des mois d’affrontements et un bilan humain estimé à 90 victimes, la signature des accords de Matignon mit un terme à la situation insurrectionnelle. Dix ans plus tard, ceux dits de Nouméa dessinèrent une nouvelle organisation en répartissant les pouvoirs entre l’État central et les institutions locales. Ces accords instituaient une autonomie forte et établissaient un référendum sur l’avenir institutionnel. En cas de rejet de l’indépendance, une deuxième consultation pouvait être organisée, puis éventuellement une troisième. À l’issue des votes, toujours opposés à l’accession à la pleine souveraineté (56,7% en 2018, 53,3% en 2020, 96,5% en 2021 mais ce scrutin fut boycotté par les indépendantistes), un nouvel accord doit être négocié et soumis à un nouveau référendum.

L’accord de 1988, signé sous l’égide du Premier ministre Michel Rocard, a globalement été respecté. Comme cela avait été arrêté, le statut de la Nouvelle-Calédonie a considérablement évolué en 36 ans. Les transferts de compétences ont été nombreux, puisque l’État français assume les seules responsabilités régaliennes (nationalité, police, justice, défense, monnaie) et celles en lien avec les enseignements secondaire et supérieur. Toutes les autres compétences (école primaire publique, santé, travail, formation professionnelle, circulation routière, urbanisme, exploitation des ressources, …) sont du ressort des instances élues néo-calédoniennes et notamment du « gouvernement collégial » qui regroupe les différentes sensibilités.

Par ailleurs, le soutien de l’État français est notable, comprenant des dépenses publiques de l’ordre de 1,5 milliard d’euros par an, ce qui représente environ 20% du PIB local. Le rattachement à la France permet à la Nouvelle-Calédonie de présenter un PIB par habitant proche de celui de la métropole, en total décalage avec les îles voisines du Pacifique, où il est en moyenne environ dix fois inférieur. Les indépendantistes en ont conscience.

Toutefois, malgré un rééquilibrage politique, économique, social et culturel indéniable, les inégalités restent fortes et il persiste une grande disparité au sein de la population dans la répartition des richesses. C’est le sujet sur lequel le gouvernement doit faire des propositions.

La situation économique de l’île, dont le principal atout est son sous-sol, puisqu’il concentre environ 25% des réserves mondiales de nickel, est extrêmement tendue. Les trois usines d’extraction de minerais ne sont plus compétitives vis-à-vis de leurs concurrents étrangers dont les coûts d’exploitation sont très inférieurs. Le nickel représente un quart des emplois privés de l’île et le chômage est une donnée importante de la situation néo-calédonienne, notamment dans la population kanake.

L’accord, qui doit être trouvé à l’issue des trois référendums, achoppe notamment sur l’élargissement du droit de vote, aujourd’hui restreint aux citoyens français résidant de longue date (avant 1994) et de manière continue en Nouvelle-Calédonie. Le projet de loi constitutionnel « portant modification du corps électoral pour les élections au congrès et aux assemblées de province », déjà adopté par le Sénat, a été approuvé, dans les mêmes termes, par l’Assemblée nationale le 15 mai. Il doit maintenant être définitivement entériné par un vote du Congrès du Parlement afin de modifier la Constitution. Il instaure une possibilité de vote à tout citoyen français résidant sur place depuis au moins dix années. Le gouvernement considère que toutes les étapes de la concertation ont été respectées, alors que les indépendantistes, craignant une perte de poids électoral des Kanaks, contestent cet élargissement, reprochent à l’État un passage en force et surtout dénoncent l’absence de contreparties.

Pour la France, ses territoires lointains ont une importance stratégique. Alors que le rayonnement, si cher au peuple français et à ses dirigeants, n’est plus que l’ombre de ce qu’il fut, la présence française dans tous les océans demeure indéniablement un atout. Notamment dans cette vaste région du monde, l’Indopacifique, qui recouvre la plupart des enjeux sécuritaires et économiques de demain. Outre le nickel, indispensable à la réalisation des batteries automobiles, et donc à la décarbonation de la planète, l’espace maritime néo-calédonien contribue à faire de la France le deuxième pays, après les États-Unis, à la zone économique exclusive (ZEE) la plus étendue.

Sous le regard avide de la Chine qui a déjà suborné à des degrés divers plusieurs îles de l’arc mélanésien (Papouasie-Nouvelle-Guinée, Îles Salomon, Vanuatu, îles Fidji), la France doit se donner les moyens de ses ambitions. Le processus de négociation doit pouvoir se poursuivre une fois que les armes se seront tues. Si on exclut les extrémistes minoritaires, loyalistes, indépendantistes et État ont intérêt à trouver un accord. Il n’est pas acceptable aujourd’hui, après trois référendums à la valeur légale indéniable, d’écarter 20% du corps électoral, mais le dégel de celui-ci doit avoir une contrepartie. C’est le sens des accords de Nouméa et c’est ce qu’attendent les indépendantistes. Compte tenu d’une volonté affichée de ces derniers, pour l’heure débordés par des factions extrémistes, on peut raisonnablement espérer qu’un dialogue, qui engage les uns et les autres, puisse reprendre lorsque les esprits échauffés se seront calmés.

Sur la place de la Paix à Nouméa est érigée la célèbre statue de la poignée de main entre Jacques Lafleur et Jean-Marie Tjibaou le 26 juin 1988. À l’heure où dans le monde de nombreuses statues sont mises à terre, il serait salutaire que celle-ci demeure dressée et que les adversaires d’aujourd’hui se souviennent du dénouement des discordes d’hier.

Hugues Saury, Sénateur du Loiret

Le 18 mai 2024