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Édito de la lettre du 17 janvier 2023

Jeudi 19 janvier, les huit principales centrales syndicales (CFDT, CGT, FO, CFE-CGC, CFTC, UNSA, Solidaires, FSU) appellent à une grève interprofessionnelle et à manifester contre la réforme des retraites dont les grandes lignes ont été dévoilées le 10 janvier dernier.

On peut supposer que le mouvement social sera de grande ampleur, mais s’inscrira-t-il dans la durée ? Les répliques aux précédentes tentatives de révision de notre système de retraite donnent quelques indications.

En 1995, l’opposition au plan Juppé, plus large que le projet de loi actuel, avait rassemblé, à son point culminant, deux millions* de manifestants. Des transports paralysés pendant trois semaines, l’ensemble des administrations au ralenti, une opinion publique solidaire : le plan Juppé soulevait une mobilisation jamais vue depuis mai 68.

Quinze ans plus tard, de mars à octobre 2010, l’objet de la contestation est alors le relèvement de l’âge légal de départ à la retraite, pour tous les assurés, de 60 à 62 ans. La France est bloquée. Cheminots, transporteurs routiers, employés des raffineries, éboueurs, lycéens et étudiants se succèdent pendant sept mois pour lutter contre la réforme. Au total, il y aura quatorze journées de manifestations et jusqu’à trois millions* de personnes dans la rue.

Enfin, au début de son premier mandat, Emmanuel Macron lance le projet d’un régime universel de retraite à points, annoncé pendant la campagne électorale de 2017. Il en présente les grandes lignes en décembre 2019. La réforme, particulièrement complexe, se heurte aux organisations syndicales unanimement hostiles à l’idée d’un « âge pivot » incitant au départ à la retraite à 64 ans. En décembre, un million et demi* de personnes défilent dans les rues. Le mouvement de grève très important dans les transports se propage à d’autres catégories professionnelles. À l’Assemblée nationale, le projet de loi fait l’objet de plus de 40 000 amendements, poussant ainsi le Premier ministre, Édouard Philippe, à recourir à l’article 49.3 de la Constitution. Quelques semaines plus tard, les retraites ne sont plus au cœur des préoccupations des Français. Le Coronavirus déferle et la pandémie sévit en Europe et en France. Le 16 mars 2020, lors d’une allocution télévisée, le président de la République « déclare la guerre » à l’épidémie et annonce la suspension de toutes les réformes. Celle de la retraite à points est définitivement enterrée.

En ce début 2023, les équilibres politiques sont tels que le gouvernement peut difficilement passer en force au Parlement. Des concessions doivent être faites et des accords obtenus pour éviter un nouvel usage du 49.3, qui serait une mèche allumée dans un pays au climat social explosif.

Tirant des leçons de la retraite à points dont la gestation a été beaucoup trop longue et qui a finalement avorté, le gouvernement propose une réforme courte (dix articles seulement), plus lisible et surtout plus équilibrée. Elle entérine un allongement de la durée du travail en instaurant un âge légal de départ à la retraite à 64 ans, ce qui nous hisse dans la moyenne basse des pays européens, alors que nous sommes aujourd’hui les derniers. Condition d’acceptabilité oblige, la clause dite « du grand-père », cette disposition limitant l’application des nouvelles règles aux entrants dans le système réformé, sera appliquée aux régimes spéciaux, rendant ainsi la réforme indolore pour ceux qui sont aujourd’hui en poste. Seuls des régimes autonomes (professions libérales) et ceux très particuliers des marins, de l’Opéra de Paris et de la Comédie-Française ne seront pas concernés.

Certaines mesures qui conditionnent l’accord des Républicains ont été intégrées au texte. Il s’agit d’abord de la hausse de 900 à 1 200 euros bruts du montant minimum de la retraite, pour tout salarié à la carrière complète et à temps plein au salaire minimum. Même si l’augmentation nette ne sera pas de 300 euros, c’est un progrès. Ensuite, les dispositifs de cumul emploi-retraite seront améliorés afin de favoriser le travail des seniors. Enfin, une attention particulière doit être apportée à la situation des carrières hachées, particulièrement celles des femmes qui n’ont pas cotisé durant toute leur vie active, notamment les mères de famille qui, parce qu’elles ont eu des enfants, ont pris des emplois à temps partiel ou ont eu une carrière en pointillé.

Afin d’éviter des débats trop longs et un nombre d’amendements dont le seul but est d’emboliser le processus législatif et de maintenir la rue sous tension, le gouvernement a fait le choix d’utiliser pour vecteur un projet de loi de financement rectificative de la Sécurité sociale (PLFRSS) dont la durée d’examen est limitée par l’article 47.1 de la Constitution. Députés et sénateurs ont en effet cinquante jours maximum pour se prononcer, entre le dépôt du texte sur le bureau de l’Assemblée et son adoption définitive par le Parlement.

Une petite fille qui naît aujourd’hui a une espérance de vie de 93 années, un petit garçon de 90. Compte tenu de l’évolution de la durée de vie et de l’entrée plus tardive des jeunes dans le monde du travail, le nombre de cotisants par retraité ne cesse de diminuer pour atteindre 1,7 aujourd’hui. Le sujet est beaucoup plus complexe que cette approche simplifiée, mais il est une évidence que, à terme, cette évolution du ratio posera un problème de financement de notre modèle de pension de retraite. Augmenter la durée du temps de travail ou augmenter la cotisation des actifs, ou encore diminuer les pensions de retraites sont les seules voies possibles. Pour ma part, mon choix est fait, même si, comme l’écrivait dans les années cinquante Leo Longanesi, journaliste et auteur italien, « une société fondée sur le travail ne rêve que de repos ».

 

 

* Source syndicale.