Fermer

Édito de la lettre du 17 mai 2021

La semaine dernière au Sénat, et ce lundi également, a été discuté en séance publique un texte important. J’ai la chance d’en avoir été désigné rapporteur. Le projet de loi « pour le développement solidaire et la lutte contre les inégalités mondiales » est essentiel à plus d’un titre. Il se situe à la croisée de nombreuses problématiques et enjeux majeurs.

Manger, se soigner, éduquer la jeunesse nous paraissent des évidences et pourtant, aujourd’hui encore dans de nombreux pays, parfois proches du nôtre, accéder « à ces biens publics mondiaux », et aux autres, est impossible. Ainsi l’ONU considère que près de 700 millions de personnes, la plupart en Afrique, souffrent de la faim. Les conflits, le climat, les inégalités en sont les principales causes. 60% de la population affamée, parfois volontairement par tactique guerrière, se trouve dans des pays en conflit politique, ethnique ou religieux. La violence et la famine dans des territoires rendus quasiment invivables par le réchauffement climatique mettent les populations sur les routes et créent des migrations entre pays voisins, générant à leur tour de nouveaux conflits et un cercle vicieux mortifère. Pour certains, de plus en plus nombreux, qui le seront encore davantage demain, le but ultime est l’illusoire eldorado de nos sociétés opulentes et socialement accueillantes.

Mais ces pays représentent également un marché potentiel important et un gisement de richesses en devenir. Certains, la Chine tout particulièrement, mais d’autres aussi tels la Russie ou la Turquie, ne s’y sont pas trompés. À titre d’exemple, la ligne de chemin de fer édifier à partir de 1887 par les Français entre Djibouti et Addis-Abeba et ouvrant toute la Corne de l’Afrique au commerce des pays asiatiques a été financée et reconstruite par les Chinois. Lesquels ont également réalisé un immense port pour mieux déverser sur le continent africain le fruit de leurs chaînes de production. Le tout protégé par une base militaire aux airs de camp retranché. Les investissements de ces pays sont massifs et leur influence grandissante. Les pouvoirs locaux souvent corrompus se laissant facilement acheter par ces nouveaux faiseurs de rois. Pour des raisons historiques, idéologiques, financières, éthiques aussi, l’ascendant des grandes démocraties est en recul, laissant ces « pays moins avancés » en proie à un nouvel asservissement par l’endettement.

Pour autant, les grandes démocraties prospères, tout particulièrement européennes, ne peuvent, ni ne veulent, se désintéresser du sort de ces nations défavorisées. Après des siècles de guerre, elles sont devenues les principaux promoteurs de paix dans le monde. L’action humanitaire et la solidarité, notamment au travers de l’aide multilatérale portée par de grands organismes internationaux, font partie de leurs priorités. Mais cette action est utile aussi parce qu’elle participe au rayonnement de ces mêmes pays y compris dans les domaines culturels, linguistiques ou commerciaux. Enfin, pour se prémunir d’un flux migratoire qu’ils ne pourraient contenir et qui deviendrait très vite une source de déstabilisation politique, les pays européens doivent agir pour tenter de maîtriser l’afflux de ces nouvelles populations.

Dans ce projet de loi, la France réaffirme sa volonté d’être parmi les leaders mondiaux en matière d’aide au développement, par les moyens qu’elle y consacre d’abord et par les valeurs humanistes qu’elle porte ensuite. L’Aide publique au développement française représente un budget annuel d’environ 14 milliards d’euros, en forte augmentation dans ce quinquennat. L’objectif consacré par l’OCDE est d’atteindre 0,7% du Revenu national brut. Si ce chiffre n’est pas encore réalisé, la France peut s’enorgueillir de consacrer 0,55% de son budget à cette politique, qui la place ainsi au cinquième rang des membres de l’OCDE derrière les États-Unis, l’Allemagne, le Royaume-Uni et le Japon.

Les avancées dans ce projet de loi sont nombreuses. Ambitieuse  dans son engagement financier, la France réoriente sa politique afin de donner plus d’importance aux dons par rapports aux prêts qui avaient pour effet pervers de privilégier des pays intermédiaires au détriment des plus pauvres. Autre point significatif, la volonté de favoriser l’aide bilatérale, c’est-à-dire de piloter directement son soutien envers les pays prioritaires, plutôt que de recourir davantage aux grands organismes mondiaux. Ensuite, il faut se féliciter de la création d’une commission d’évaluation placée auprès de la Cour des comptes, gage d’indépendance et de sérieux, pour vérifier l’efficacité des actions menées et le bon usage de l’argent public. Enfin, l’Etat français se distingue par  la restitution sous forme d’aide aux populations lésées des « biens mal acquis » par des dignitaires véreux et autres dictateurs, préemptés sur le sol national.

La politique de développement est devenue en quelques années un rouage primordial de la diplomatie. C’est ce qu’on nomme la diplomatie d’influence ou encore le « soft power ». Les livraisons de vaccins chinois et russes aux populations africaines en sont l’exemple le plus récent. À grand renfort de communication, avec une éthique parfois très contestable, et des visées à peine camouflées, un nouvel ordre mondial s’instaure. L’Afrique, dont l’histoire est marquée par l’influence, et souvent l’ingérence, étrangère, risque une nouvelle fois d’en être la victime. Pour l’Europe, et la France en particulier, ce serait une situation dont on ne mesure pas toujours les désastreuses conséquences. Ce texte d’orientation et de programmation est l’un des éléments importants de notre politique étrangère pour contrarier ce processus.