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Édito de la lettre du 4 octobre 2021

La France humiliée

La France aurait-elle oublié à ses dépens cette formule du général de Gaulle « Un État n’a pas d’amis, il n’a que des intérêts » ? C’est clairement ce que l’on peut retenir de l’échec retentissant que nous venons de subir avec le dossier des sous-marins australiens, qui se révèle être « le flop du siècle ». Si, d’un point de vue commercial et industriel, la torpille a créé quelques avaries, elle risque d’être létale du point de vue diplomatique. Rappelons qu’il s’agissait d’un contrat, annoncé en 2016 et scellé en 2019, initialement de 35 milliards d’euros sur cinquante ans, pour douze sous-marins d’attaque conventionnels. Tout l’armement avait été confié à l’Américain Lockheed Martin, et la part française attribuée à Naval Group, dont Thalès est actionnaire à 35 %, (ne) représentait (que) 8 milliards d’euros. Les sous-marins devaient être construits en Australie et l’industriel français s’était engagé à ce que 60 % de la valeur du contrat soit dépensée dans le pays signataire et qu’y soient créés près de 1 800 emplois au cours des prochaines années. Même s’il s’agissait d’une victoire de prestige pour notre industrie d’armement, le qualificatif de « contrat du siècle » était davantage une formule politique qu’une réalité commerciale.

En revanche, par cet accord important, la France affirmait sa présence dans cette partie du monde, « l’Indopacifique », dont elle constitue l’une des nations par ses territoires d’outre-mer (les départements de La Réunion et de Mayotte, les collectivités de Nouvelle-Calédonie et de Polynésie française, le territoire de Wallis-et-Futuna, les Terres australes et antarctiques françaises – TAAF). À l’évidence, la polarité mondiale – qui, depuis un siècle, se concrétisait par un dialogue et des échanges de part et d’autre de l’Atlantique entre l’Amérique et l’Europe – s’est déplacée dans l’autre partie du globe, au sein d’un vaste espace comportant deux océans, Indien et Pacifique, allant des côtes Est de l’Afrique jusqu’à la Chine. On estime qu’en 2030, 60 % du PIB mondial prendra sa source dans ce nouvel Eldorado. Pour l’avenir de notre pays, il est d’intérêt stratégique d’en être l’un des acteurs. En effet, 93 % de nos zones économiques exclusives (ZEE) sont situées dans cet intervalle. Cela signifie que, selon le droit international de la mer, l’État côtier (La France) a pouvoir d’y exercer des droits souverains et économiques en matière d’exploration et d’usage des ressources naturelles. C’est un potentiel de richesses inexploitées exceptionnel. Pour la France, un atout précieux !

Ces territoires sont convoités de plus en plus ouvertement par la Chine, qui a déjà, par une politique économique très agressive, créé une dépendance totale de nombreux petits États îliens notamment dans le Pacifique. L’expansionnisme chinois et la menace qu’il représente pour les Australiens ont sans doute largement participé au revirement spectaculaire du 15 septembre dernier. Le ministre Jean-Yves Le Drian, les diplomates, les industriels, ou les services de renseignement français disent officiellement ne rien avoir vu venir. Vrai ou faux, cela est inquiétant, car notre pays n’a pas pu ou su réagir.

En choisissant des sous-marins américains à propulsion nucléaire et en signant le même jour une alliance tripartite dénommée AUKUS (Australie, United Kingdom, USA), les Australiens font un double choix. Celui de se mettre dans les bras plus protecteurs des Américains et celui d’entrer dans un pacte qui systématise la confrontation, y compris militaire. En optant pour l’arme nucléaire, dont elle ne maîtrise pas la technologie, l’Australie accepte de perdre toute forme de souveraineté.

Le peu d’implication de la France dans la région, notamment pour assurer les Néocalédoniens de sa volonté de les maintenir dans le giron de la République, à la veille du troisième référendum d’autodétermination, celui de tous les dangers, qui aura lieu le 12 décembre prochain, a certainement pesé dans la balance. Pour le moins, les signaux donnés par la France sont des plus faibles, alors même que les Australiens ont un besoin vital d’alliés solides. Cette attitude, compte tenu des enjeux, est effarante. Si la Nouvelle-Calédonie, où, consultation après consultation, l’écart se resserre, devait, dans deux mois, choisir la voie de l’indépendance, la France perdrait une part non négligeable de son statut de puissance maritime et de son influence dans cette zone de tous les espoirs et de tous les risques, et s’en trouverait fortement amoindrie.

Il serait bon que le chef de l’État, inaudible lors de cet épisode humiliant, se rappelle cette autre phrase du général de Gaulle : « La France ne peut être la France sans la grandeur. » Mais cela a-t-il encore un sens dans la France d’aujourd’hui ?