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Édito de la lettre du 5 décembre 2022

Sans doute plus conservateur et âgé que la moyenne des Français, le lectorat du Figaro me semblait assurément favorable à l’allongement de la durée du temps de travail, tel que l’avait proposé le président-candidat Macron lors de la campagne en mars dernier. Je me trompais. Un sondage effectué dans ces colonnes jeudi dernier montre que, sur plus de 90 000 personnes, 58% ont répondu qu’ils n’étaient pas partisans d’un report de l’âge de la retraite à 65 ans. Pourtant, c’est ce projet que va présenter prochainement, aux syndicats et au patronat, Élisabeth Borne. Le calendrier de la réforme est maintenant arrêté. Le projet de loi devrait être adressé au Conseil d’État fin décembre pour une inscription dès janvier au conseil des ministres et une discussion parlementaire en début d’année. Fin octobre dernier, lors d’une interview sur France 2, ce n’est plus le candidat mais le Président de la République qui affirmait : « Il faut travailler plus longtemps », avant de préciser qu’« à partir de l’été 2023, on devra décaler l’âge légal de départ à la retraite de quatre mois par an ». « Ce qui veut dire que, là où nous sommes aujourd’hui à 62 ans, on passera à horizon 2025 à 63 ans, à horizon 2028 à 64 ans et à horizon 2031 à 65 ans, donc de manière progressive. Ces chiffres-là correspondent à ceux dont nous avons besoin. »

S’il est bien un sujet sensible dans notre pays, c’est celui des retraites. Annoncée comme la mère de toutes les réformes, on se souvient que, dans le mandat précédent, Jean-Paul Delevoye, haut-commissaire aux retraites, avait tellement  concerté, complexifié et finalement tergiversé, que le projet s’était éteint avec les manifestations hostiles de 2019 et 2020, puis avait définitivement sombré avec la Covid. Le mieux est l’ennemi du bien.

Le dossier est à reprendre alors que le contexte économique s’est fortement dégradé depuis 2019. On peut présumer que la détermination de l’exécutif, fort de l’expérience passée ne faiblira pas cette fois-ci. D’autant que le scénario a été annoncé depuis plusieurs mois; l’échéancier, les modalités et l’objectif ont été affirmés durant la campagne présidentielle. C’est en l’occurrence le seul projet mis sur table par le candidat Macron.

Avis de tempête : face à ces annonces, les partenaires sociaux ont commencé à mobiliser et prévenu de mouvements à la RATP et à la SNCF. Le bras de fer va s’engager et le gouvernement n’a qu’une solution pour tenir face à la contestation, c’est d’aller vite, le plus vite possible afin d’éviter la coalition des revendications, des mécontentements et des craintes qui ne manquent pas en cette fin d’année. Si le contexte social et économique a changé d’un mandat à l’autre, le contexte politique est également plus contraint. La Nupes d’un côté, le RN de l’autre, hostiles à tout report de l’âge de la retraite, mettront sans nul doute de l’huile sur le feu. Si le gouvernement veut faire preuve de célérité, à l’inverse, ces mêmes partis ralentiront le processus législatif par l’usage abusif du droit d’amendement avec l’espoir de pousser le gouvernement au 49.3. Car dans cette guerre de tranchées, dans cette bataille de rue parfois, les extrêmes ont intérêt à acculer le gouvernement et à lui faire dégainer la seule et unique cartouche en sa possession d’ici à la fin de la session ordinaire, en juillet prochain.

En Europe, la majorité des 27 pays a adopté un âge de départ à la retraite autour de 65 ans. Allemands et Italiens cessent leur activité professionnelle à 67 ans, tandis que Suédois et Français peuvent le faire dès 62 ans. Certains pays tels le Danemark ou la Belgique ont prévu un allongement en fonction de l’évolution de l’espérance de vie, ce qui conduit à une planification à moyen terme autour de 70 ans.

Alors que, en France, la durée moyenne de la période de non-activité est parmi les plus élevées (23,5 années pour les hommes et 27,1 années pour les femmes), repousser le seuil de 62 ans pour se rapprocher de toutes les grandes économies se justifie par deux phénomènes que sont l’entrée tardive des jeunes générations dans le monde du travail et l’allongement continu de la durée de vie.

La France a le plus faible taux d’emploi des personnes âgées de 60 à 64 ans de tous les pays économiquement comparables. C’est pourquoi le Conseil d’orientation des retraites (COR) considère que le coût social de la réforme (élévation du montant des minimas sociaux, des pensions d’invalidité, des indemnités journalières de sécurité sociale), évalué à 0,14 point de PIB, viendrait en partie grever les bénéfices de celle-ci, évalués à 0,6 point de PIB. Ainsi, les avantages de la réforme ne sont pas aussi évidents qu’on peut l’imaginer de prime abord. Ce sont sans doute ces particularités françaises qui font dire au patron de la CFDT: « Est-ce que le gouvernement a envie de mettre le feu au pays et de faire une réforme profondément injuste pour les plus modestes ? » Car Laurent Berger considère que l’allongement de la durée du travail accroît la situation de précarité chez les plus de 60 ans modestes, déjà particulièrement nombreux dans notre pays. La question mérite d’être posée, mais il serait préférable de connaître les raisons de ce particularisme français et d’y remédier.

Sauf à décider dès aujourd’hui la chute libre du montant des pensions de retraite pour les années à venir, il me semble que la mondialisation de l’économie, les progrès de la médecine et l’allongement de la période des études plaident pour un report progressif de l’âge de départ à la retraite. La pénibilité du travail, les carrières longues, les handicaps, etc. doivent évidemment être mis dans la balance afin de ne pas créer de nouvelles injustices.

On le voit, le sujet est particulièrement complexe. Les marges de négociation existent-elles encore ? Le gouvernement, ou plus vraisemblablement le Président de la République, a sans doute déjà tranché. Très vite, les décisions vont devoir être annoncées, sous le regard des syndicats, des oppositions politiques… et des Français irascibles.