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Édito de la lettre électronique du 18 mars 2024

Le projet de loi « Immigration » et ses péripéties, la crise agricole puis la constitutionnalisation de l’IVG ont occulté dans les médias, durant quelques mois, la guerre qui sévit aux portes de l’Europe entre la Russie et l’Ukraine. Les récentes déclarations du président de la République, suivies de l’accord entre la France et l’Ukraine, qui a donné lieu à un débat puis un vote dans les deux assemblées au titre de l’article 50-1 de la Constitution, et enfin l’interview diffusée en direct sur plusieurs chaînes de télévision du chef de l’État ont remis sur le devant de la scène ce conflit aux conséquences d’ores et déjà majeures.

La Russie de Poutine, que je ne confonds pas avec la Russie, est, nous le savons tous, la seule responsable du terrible drame qui se déroule à 1 500 km de nos frontières. L’Ukraine ne menaçait en rien la Russie, aussi, seule la folie expansionniste et destructrice de Vladimir Poutine et de ses sbires est responsable de la situation. Les effets de l’invasion russe affligent d’abord l’Ukraine où l’on dénombre des centaines de milliers de morts, bien davantage de mutilés et de blessés, des villes et villages totalement détruits, des exactions de l’armée russe en totale violation du droit international. Ils se répercutent ailleurs, avec une crise économique planétaire, un accroissement de la pauvreté sur tous les continents et une partition du monde des plus inquiétantes. Aujourd’hui, nous assistons à une escalade verbale qui évoque le recours à l’arsenal nucléaire et fait peser une immense et pesante inquiétude.

La France soutient l’Ukraine depuis le premier jour. Elle doit maintenant non seulement poursuivre son engagement mais amplifier les moyens pour alimenter l’armée ukrainienne, car la victoire de la Russie – soyons lucides, fort probable – ne doit pas être totale. Celle-ci serait une défaite fatale pour l’Europe, qui aurait des répercussions plus graves encore que les constats actuels et représenterait une menace pour l’avenir. Dans cette hypothèse, le risque serait grand, en effet, de voir rapidement les troupes russes s’intéresser à d’autres territoires. Rappelons que l’article 42-7 du traité de Lisbonne et l’article 5 du traité de l’Atlantique Nord mettent en place une alliance défensive contre toute attaque de l’un des membres de l’Union européenne ou de l’OTAN.

Dans ce contexte, notre pays joue un rôle important. Il est le seul de l’Union européenne doté de l’arme nucléaire. Il est également le seul à avoir une armée complète. Nos forces terrestres, maritimes ou aériennes, nos services de renseignement et de lutte dans l’espace cyber sont compétents, entraînés et considérés comme des partenaires majeurs par les autres nations. Même si nous possédons des matériels parmi les meilleurs au monde tels les canons Caesar, les avions de combat Rafale ou les sous-marins nucléaires lanceurs d’engins, pour citer des exemples dans chacune des trois armes, il faut reconnaître qu’un effort considérable doit être entrepris afin de monter en puissance dans l’effectivité de ces matériels. La Défense nationale a été la variable d’ajustement pendant de nombreuses années et les budgets n’ont pas permis d’entretenir, de renouveler et d’alimenter nos armées. L’exemple le plus flagrant est notre faiblesse en matière de munitions. La fabrication française annuelle d’obus correspond à la consommation de deux ou trois jours dans le conflit russo-ukrainien.

Pour autant, mobiliser nos troupes, comme l’a évoqué le président de la République, ne peut se concevoir que si nos intérêts vitaux et notre intégrité territoriale étaient menacés. Nous sommes fort heureusement loin de cette situation et les déclarations ambiguës n’ont d’autres visées que celles de la politique intérieure. Ce n’est pas à la hauteur de la situation. Ce n’est pas à la hauteur de ce que doit être le premier personnage de l’État dans de telles circonstances.

De la même façon, le vote sollicité du Parlement, au Sénat mercredi 13 mars, était une mascarade puisque l’avis des parlementaires n’était que consultatif; l’accord ayant été signé auparavant. Mascarade mais également prise en otage, car le même document affirmait à la fois le soutien militaire à l’Ukraine, ce qui est consensuel parmi les parlementaires, et le soutien au double ralliement de l’Ukraine à l’OTAN et à l’UE, ce qui l’est beaucoup moins. Voter favorablement, c’était accepter le principe de l’adhésion, ce qui est déraisonnable. Voter défavorablement, c’était rejeter l’aide militaire à l’Ukraine, ce qui n’est pas dans l’intérêt de l’Europe. C’est pour ces raisons que Pauline Martin et moi-même, tous deux présents lors de cette séance, n’avons pas souhaité prendre part à ce vote.

Sur ce grave sujet, il peut être difficile de percevoir les enjeux, alors que dans notre vie quotidienne il n’y a pas, fort heureusement, de traces directes de ce conflit armé. Toutefois, n’imaginons pas que l’Ukraine russifiée ne constituerait pas une menace permanente pour l’Occident. Donnons à ce pays, si proche de nous, les moyens de se défendre pour que, lorsque le temps de la négociation et de la diplomatie arrivera, il puisse être en position de contenir les velléités russes. Comme le disait fort justement Dominique de Villepin en évoquant d’autres conflits : « Chaque guerre appelle une nouvelle guerre. » Il serait dangereux de l’oublier.

Hugues Saury

Le 18 mars 2024